Qu’est-ce qui donne envie de rien foutre, qui distrait et peut perturber l’orientation, qui fait rire et donne envie de déconner ? La même herbe que les autorités du sport business considèrent toujours comme un « produit dopant ».
L’as du volant Tomáš Enge, champion tchèque de formule 3000, fut démasqué le 17 août 2002 à l’issue du grand prix de Hongrie, qu’il venait encore de gagner. Testé positif au cannabis. Verdict confirmé par la contre-expertise. En France, ce vilain tricheur s’en serait tiré avec un retrait de permis, mais non. Il fut condamné à la déchéance de son titre mondial, fraîchement conquis sur le mythique circuit de Monza. Sans cannabis, cette drogue mondialement connue pour démultiplier l’adresse des conducteurs, la carrière du meilleur pilote tchèque de tous les temps, le seul ayant pu prétendre à la Formule 1, ne s’en remettra jamais.
C’est tout le paradoxe : le cannabis paraît contre-indiqué pour améliorer les performances des athlètes. Mais il fait toujours partie de la liste interdite par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Pour l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’usage du cannabis dans les compétitions sportives est interdit… pour cause d’interdiction. Je cite : « Le cannabis est doublement interdit aux sportifs en France, d’une part parce qu’il fait partie des stupéfiants et que son usage est interdit et, d’autre part, parce qu’il est sur la liste des produits dopants et cela en raison de ses effets sur le stress, les perceptions et la douleur. »
Pour l’AMA, une « substance ou une méthode » est proscrite lorsqu’elle réunit au moins deux de ces trois critères : si elle « contribue ou est susceptible de contribuer à l’amélioration de la performance sportive » ; si elle « présente un risque potentiel ou réel pour la santé du sportif »; si « l’usage de la substance ou le recours à la méthode est contraire à l’esprit sportif ». C’est sur ces bases fumeuses que, à partir de 1998, l’AMA a prohibé l’usage du cannabis en le classant parmi les « substances spécifiées », celles interdites uniquement en compétition. Donc tout à fait autorisé à l’entraînement, comme la cocaïne par exemple !
Oui, j’ai été confronté au dopage, comme tout médecin qui s’est occupé de sportifs », s’est confié, devant une commission sénatoriale en 2013, l’ancien toubib de l’équipe de France de foot en 98, Jean-Marcel Ferret. « Dans le football, le dopage est passé par les centres de formation, avec l’arrivée du haschich, dans les années 1980-1985. À l’époque, on avait alerté la fédération et les pouvoirs publics. On nous a demandé de nous débrouiller seuls ! On était loin des contrôles actuels… Le football peut être davantage touché par les drogues récréatives que par le dopage destiné à stimuler la performance. ».
Le problème avec la ganja, c’est qu’elle laisse des traces dans le corps longtemps après les prises… Et comme sa consommation irradie tous les milieux, y compris celui des shootés de la testostérone, pas étonnant que le cannabis devienne vite la première des substances « dopantes » détectées. À la charge du fautif de prouver que l’usage de l’herbe folle a bien été « récréatif ». « Nous dépensons beaucoup d’argent pour confondre des fumeurs de cannabis qui ne sont pas réellement des tricheurs », reconnaissait le patron de l’AMA en personne, John Fahey, face aux sénateurs français. « Un joueur de football peut être en infraction avec le code de l’AMA le jour d’un match si dix jours auparavant il a fumé un joint au cours d’une fête – comportement qui n’a certes pas pour objectif de mieux jouer dix jours plus tard… »
Entre 2007 et 2012, environ un tiers des tests « anormaux » étaient positifs au cannabis, selon les chiffres de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Pour mettre un terme au ridicule, en mai 2013 l’AMA décide de faire un énorme rétropédalage : le seuil minimal de détection est multiplié par dix, en passant de 15 à 150 nanogrammes par millilitre (ng/ml). Certaines fédérations recommandent même 170 ng/ml. Les résultats de ce changement de barèmes, ne se font pas attendre : la part des tests positifs au chanvre indien tombe de 28,3% en 2012 à 12,8% en 2013, puis à 9% en 2014.
Et pourtant… il paraît que dans certaines disciplines extrêmes, le cannabis possède vraiment ses petites vertus. Pas tant sur les performances mais sur la récupération, notamment grâce à ses effets bénéfiques pour la relaxation musculaire et son étrange capacité à assurer un sommeil réparateur à un athlète stressé et surexcité par l’effort entrepris. C’est par exemple ce que racontent certains ultra-trailers, ces coureurs de cross pouvant durer des dizaines d’heures sur des centaines de kilomètres… Mais de là à appeler dopage l’effet dodo du joint à la papa…
Cesare Piccolo
Dessin de ©Serge Prince
Article paru dans le Zélium « Sport, bizness et jeux de dope »